Repenser l'insensé : une analyse des catégories d'espace et de temps dans cinq autofictions néofantastiques hispano-américaines

Le présent travail d’investigation incline la perspective sur la modalité fantastique de l’autofiction telle qu’elle s’est présentée au cours des vingt dernières années dans différents pays hispano-américains. Sur base d’un corpus représentatif, composé de cinq romans hispano-américains récents, à savoir Cómo me hice monja de César Aira (1993), Wasabi d’Alan Pauls (1994), El gran vidrio de Mario Bellatín (2007), Los ingrávidos de Valeria Luiselli (2011) et Los topos de Félix Bruzzone (2014), nous nous proposons d’y examiner la représentation particulière dont font l’objet les catégories d’espace et de temps. La trame de ces romans, de fait, semble délibérément entretenir un mouvement permanent et multiplier les espaces narratifs étranges (cimetières), marginaux (prisons et maisons closes entre autres) ou situés en périphérie des villes.
L’autofiction comme le fantastique supposent une difficulté voire une impossibilité d’accéder à la vérité, c’est une des raisons pour lesquelles le premier confond faits et fictions et que le second privilégie une approche irrationnelle de la réalité. L’hypothèse de départ est la suivante : le type d’hybridation effectué respectivement dans ces genre et ce mode littérairess radicaliserait le postulat selon lequel la réalité « véritable » nous échappe. Nous sommes convaincus que les invraisemblances spatiales et temporelles de ces autofictions ne sont en aucun cas une forme d’évasion de la réalité ; au contraire, elles seraient un moyen de l’appréhender différemment et d’en communiquer certains aspects de façon innovante, essentiellement intuitive, en provoquant chez le lecteur une rupture épistémologique radicale. Outre le fait que le mode fantastique pourrait, pour les écrivains concernés, constituer un moyen d’explorer la notion d’identité au-delà de toute détermination spatiale et temporelle, ces autofictions d’un nouveau genre pourraient également, de façon plus générale, être le miroir de la société d’aujourd’hui, leurs excès et autres invraisemblances reflétant quelques limites du système actuel : le capitalisme néolibéral et la « tyrannie du je » qu’il encourage suscitent un rapport toujours plus superficiel à la réalité, réalité qu’il serait par ailleurs aujourd’hui plus que jamais difficile de remettre en question (Alberca 2007). Et si, dans un monde globalisé où l’ailleurs n’existe plus, s’interner dans d’autres espaces, dans d’autres temps, était devenu le meilleur moyen d’en parler ?